1 novembre 2014
« À la fin d'une séance de partage musical passionnante avec Marie-Charlette Benoît, filleule de Marie Jaëll et pédagogue «jaëllienne», Maïchette («C'est mon nom de pianiste, appelez-moi donc ainsi !») me dit : «Revenez bientôt afin que nous puissions continuer le ..» J'essaie de terminer sa phrase : «Le travail ?». Mais Maïchette de poursuivre comme si elle ne m'avait pas entendue : «L'épanouissement». L'essentiel est dit dans ce mot : la priorité de la pédagogie de Marie Jaëll réside donc dans l'épanouissement de l'homme, dans tout ce qui constitue son unicité et sa personnalité. Lorsque j'ai découvert les livres de Marie Jaëll il y a un an et demi, je me suis tout d'abord insurgée contre une méthode qui me paraissait saugrenue, et formulée dans un langage pour le moins sibyllin. Puis je me suis dit : « avant de juger cette approche, lisons tous les livres que cette femme a écrits, et nous verrons après ». Au fil de mes lectures, j'appliquais ses conseils de manière de plus en plus profonde et précise, et je constatais que mon jeu changeait : il se faisait plus souple, plus vivant et authentique, avec un son plus vibrant, et je me sentais plus épanouie et consciente, dans l'instant présent, tout cela en dépensant moins d'énergie inutile. Pourtant je ne voyais pas toujours le lien entre les exercices et l'exécution d'une œuvre. S'asseoir à trente centimètres du sol, émettre des sons très faibles entrecoupés de silences, tout cela me paraissait si humiliant, et en même temps si efficace ! J'ai alors pensé à cette phrase de Jésus relatant l'histoire d'un maître s'adressant à son serviteur : «Tu as été fidèle en peu de choses, je te confierai beaucoup». C'est vrai, qui peut le moins peut le plus. Et je l'éprouve un peu plus à chaque concert. La préparation des concerts est plus légère, plus concentrée aussi, plus efficace, et par conséquent moins stressante puisque j'ai le sentiment de nettoyer mon jeu, de remonter à la source. Quand je monte sur scène, il me suffit d'écouter (surtout de pré-entendre ce que je joue) et de ressentir. Le reste vient naturellement. Le travail des morceaux en mental, les mains croisées, par pressions des doigts sur les métacarpes des doigts opposés, est très utile aussi : il permet de vivifier les sensations jusqu'au bout des doigts tout en gardant intacts la fraîcheur et le désir de jouer. Comme dit Marie Jaëll, on ne peut pas maîtriser la vitesse des progrès, mais on peut être assuré que si l'on travaille en développant sa conscience, on progressera. Cela me fait penser une phrase de Saint-Ignace de Loyola : «Fais tout comme si le résultat dépendait de toi, mais sache qu'il dépend de Dieu». Et si l'on travaille en pleines confiance et conscience, le fruit arrive au moment où l'on ne s'attend pas, mais il arrive toujours. »