17 avril 2022
Thierry Dagiral : « C'est dimanche matin, un invité, des archives. On regarde dans le rétro. Une date, une histoire : ce matin, les confidences de la pianiste Lydie Solomon.
Bonjour, Philippe Legrand. »
Philippe Legrand : « Bonjour Thierry, bonjour à tous.
Retour en 2020 : silence on ferme. Bonjour, Lydie Solomon. »
Lydie Solomon : « Bonjour Philippe. »
Philippe Legrand : « Pianiste virtuose, vos concerts de musique classique sont des événements dans chaque pays, vos interprétations comme vos mélodies sont plus connues dans le monde que votre nom. Et pourtant, le pianiste Lang Lang au féminin, c'est vous !
Surdouée, à 2 ans vous interprétez l'Hymne à la joie de Beethoven, à 5 ans vous entrez déjà à l'Ecole Normale de Musique, à 10 ans vous donnez votre premier récital en Belgique, à 12 ans vous répondez à une invitation de l'orchestre de la Garde Républicaine, à 25 ans vous êtes diplômée des plus grandes écoles. Une tête et des doigts de fée. D'ailleurs, avec Michel Onfray vous faites entrer la philosophie dans la musique en un spectacle.
Lydie Solomon, votre profil inspire entre autres Prodiges, l'émission des talents.
Votre piano comme votre voix trouvent leur place dans les plus grands orchestres symphoniques, vos albums récents Euromantique et De Chopin à Cuba en témoignent.
Ce matin vous avez choisi de revenir sur Europe 1 sur le 14 mars 2020, un jour de fermeture pour cause de pandémie : témoignage, au cœur d'un restaurant. »
[témoignage au cœur d'un restaurant]
Philippe Legrand : « « On n'a pas forcément conscience du truc », nous dit au cœur d'un restaurant qui est en train de fermer, justement, l'un des ces témoins, sur Europe 1.
Lydie Solomon, pourquoi avoir choisi ce 14 mars 2020, on est à l'heure d'un décret au moment de la pandémie, on ferme ? »
Lydie Solomon : « Tout à fait, alors pourquoi cette date ? Parce que cette date a marqué un tournant dans nos vies à tous, dans tous les pans des métiers et de nos vies, que ce soient les restaurateurs, les artistes, les familles, dans toutes les entreprises, ça a été un moment quand même clé, puisque en plus il a précédé de peu, pour ceux qui étaient les plus intuitifs, ou même un petit peu moins – on pressentait que cette fermeture était le prélude à une fermeture plus globale – le confinement qui nous pendait au bout du nez.
Donc cette fermeture de tout l'espace social, ça a été, pour moi en tout cas à titre personnel, un gros choc que j'ai vécu de manière assez différente d'autres artistes. Je pense que cette pandémie a été assez clivante, aussi, en fonction des personnalités.
De mon côté, en tant qu'artiste, je ne l'ai pas vécue comme une punition, du tout, ni comme… alors, certes, on était sevré de scène, c'était une sorte de désert, de vie monastique, qui correspondait… »
Philippe Legrand : « Oui parce que vous rentriez de tournée, finalement. On vous annonce, on nous annonce cette nécessité, au fond, de rentrer chez soi et de fermer, entre autres, les théâtres où vous vous produisez. Donc vous rentrez chez vous, mais votre piano, vous le retrouvez, puisque vous êtes dans cet univers-là. C'est une autre manière de travailler, peut-être aussi pour un artiste… »
Lydie Solomon : « C'est une autre manière de travailler, exactement. Alors il se trouve que j'étais à Paris à ce moment-là dans un espace – vous savez Paris c'est génial, c'est là où ça se passe, c'est l'émulation électrique, mais est tous les uns sur les autres – et je ne me voyais pas rester plusieurs heures par jour à mon piano en ayant les voisins qui devraient supporter mes exercices quotidiens, ni moi d'ailleurs, supporter forcément les leurs, donc j'ai eu le luxe de pouvoir partir dans ma maison secondaire… »
Philippe Legrand : « Vous avez fait le choix d'une autre vie, à l'occasion de cette fermeture, au fond, générale, que nous avons vécue, les uns les autres. C'est un choc, c'est ce que vous disiez, et c'est ce choc qui a été révélateur ? »
Lydie Solomon : « C'est un choc qui a été vraiment révélateur, car je me suis terrée dans ma campagne, un village qui est à 800 kilomètres de Paris… la gare la plus proche est à 80 kilomètres… »
Philippe Legrand : « On est dans les hauteurs, si j'ai bien suivi votre parcours… pas dans les montagnes ? »
Lydie Solomon : « On n'est pas dans les montagnes, mais en tout cas on les voit de la fenêtre ! Donc, on en est proche, et pendant cette période de désert de concerts, j'ai puisé mon sens musical dans… la musique de variétés ! »
Philippe Legrand : « Vous avez quitté un peu le classique, qui est votre univers, on l'a compris lorsque je vous présentais dans ce portrait, Lydie Solomon, qu'à 2 ans, déjà, au fond, à l'oreille, vous étiez capable d'interpréter Beethoven… Je n'ose pas dire ce qu'on raconte sur vous, mais enfin… »
Lydie Solomon : « Osez, osez, je vous en prie… »
Philippe Legrand : « …il y a quand même quelques mots qui sont là, génie, génie, entre autres : c'est une réalité, le Lang Lang au féminin, entre autres…
Mais revenons sur cette date, le 14 mars 2020, comme Lang Lang peut-être, et d'autres artistes… Vous avez découvert une autre forme de musique – c'est ce que vous disiez – écrit aussi, créé, changé votre façon d'être au piano ? »
Lydie Solomon : « Ça a été la conséquence dont je n'avais pas non plus moi-même conscience du « truc », comme disait le restaurateur. C'est-à-dire que sur le coup, j'ai une amie qui était la moitié du groupe Brigitte, qui sont très connues, à cette amie, je lui ai proposé : on prend des thèmes tubes, phares de la musique classique, on en fait des chansons. Alors on en a composé sept, ensemble, et moi sept autres, on a… j'ai composé 15 chansons, en partie avec Sylvie Hoarau et moi toute seule. Et je me suis approchée de Pascal Obispo, qui était intéressé aussi par mon univers… »
Philippe Legrand : « Donc il y a des projets, finalement là aussi, de rencontre entre le classique et le moderne, la variété, et cela, parce que ce 14 mars 2020, il faut changer de vie ! »
Lydie Solomon : « Il faut changer de vie, il faut s'adapter, et on a aussi une plus haute conscience de notre responsabilité en tant qu'artiste. C'est-à-dire, les artistes, pour moi, ce n'est pas ceux qui se font plaisir et qui se regardent le nombril, et qui sont là pour dire : j'ai pas mes heures, je veux retourner sur scène, je brûle de retourner sur scène… bien sûr on brûle de retourner sur scène, mais avant tout on est des modèles aussi, on est des mediums entre un monde plus rationnel et un monde plus irrationnel, un monde visible et un monde invisible, on est, comme ça, des sortes de messie, et donc on a une responsabilité qui est très haute, donc on a un rôle de modèle à tenir, et donc pour moi en tout cas, la prudence qui m'a été imposée ne m'était pas du tout arrivée comme une punition, au contraire, comme une épreuve pour aller plus loin dans mon art puisque j'ai vécu une vie monastique, mais de grande création, et vous savez que Chopin disait : « pour savoir jouer du piano, il faut savoir chanter », alors pas comme la Callas forcément… »
Philippe Legrand : « Vous vous y êtes mise ? »
Lydie Solomon : « Je m'y étais mise depuis longtemps, mais là j'ai approfondi, j'ai creusé ce sillon, et même si aucun de ces projets n'a abouti en termes de… j'ai pas signé avec un label pour ces chansons-là, je suis allée puiser au cœur de la mélodie dans une expression plus simple, moins savante, entre guillemets, que la musique classique, et ça m'a fait le plus grand bien parce que mon jeu au piano a été relifté ! »
Philippe Legrand : « Lydie Solomon, vous parliez du chant – c'est ce que vous évoquiez à l'instant autour de cette date du 14 mars 2020 – et puis aussi du piano, avec lequel vous avez un peu changé votre relation, en quelque sorte, tout cela pour en venir à votre actualité, deux albums qu'il faut noter : il y a Euromantique, c'est bien ça, direction cette Europe romantique, et puis De Chopin à Cuba, une sacrée histoire. »
Lydie Solomon : « Finalement, c'est très lié à l'actualité puisque pour se trouver une place où on est, il faut aller voir ailleurs. Et comme disait Debussy : « quand on n'a pas les moyens de se payer des voyages, il faut suppléer par l'imagination ».
Alors Chopin, par l'imagination, est allé à Cuba, mais de manière tout à fait… »
Philippe Legrand : « Alors il faut nous expliquer, parce que, évidemment, là on n'en a pas conscience… »
Lydie Solomon : « On n'en a pas conscience, et moi-même je n'en avais pas conscience avant d'aller à Cuba et de recevoir une partition des mains du directeur du Conservatoire de La Havane, qui m'a dit : voilà, c'est une partition qui vient d'être éditée, même les Cubains n'en ont pas connaissance, les pianistes ne la connaissent pas. Je suis rentrée de tournée – une tournée extrêmement inspirante à tous points de vue, humain et musical bien sûr – je découvre la partition, et je m'aperçois que je suis en train de jouer du Chopin à la main droite et de la salsa à la main gauche. Là, j'ai halluciné puisque Chopin, à l'époque, n'est pas allé à Cuba, les réseaux sociaux n'existaient pas. Comment son esprit a-t-il pu infuser la musique cubaine ? Donc j'ai fait tout un travail – vous savez, comme Champollion – d'archéologie, parce que je trouve que nous, musiciens-interprètes, c'est ça aussi : réinterpréter les classiques c'est quoi ? C'est revenir à la source. »
Philippe Legrand : « Alors justement, ce que vous venez de nous dire, on va l'entendre, vous au piano, on va se quitter avec ce morceau qui est dans votre playlist et que vous souhaitez partager avec nous sur Europe 1, La Comparsa, qui est extrait de votre album qu'on évoquait à l'instant, De Chopin à Cuba.
Merci, Lydie Solomon, d'être venue sur Europe 1. Avec vous on a vécu ce choc, finalement, que nous partageons tous ensemble du 14 mars 2020 : retour à la maison, c'est le confinement.
A bientôt ! »
Lydie Solomon : « Merci, Philippe »
[La Comparsa d’Ernesto Lecuona, album De Chopin à Cuba de Lydie Solomon]
Thierry Dagiral : « La Comparsa, c'était le choix de Lydie Solomon, l'invitée de Philippe Legrand ce matin. »
Une date, une histoire – Europe 1 (Philippe Legrand), 17/04/2022