Lydie Solomon Pianiste

Lydie Solomon : Virtuose et Sensible – Paris Bazaar

11 avril 2019

Prodige et virtuose, son talent et son travail ont longtemps valu à la pianiste Lydie Solomon d'enviables adjectifs. Aujourd'hui, l'artiste rejoint la femme et goûte enfin à la plénitude.

C'est au piano que s'est faite la rencontre. Ce n'était pas le sien. Il l'est vite devenu. Il a suffi que ses doigts se posent sur son clavier. Sorti de son profond sommeil, le vénérable instrument a paru s'étonner lui-même de produire ce son et s'est abandonné aux élans virtuoses de la jeune pianiste. Sur la Toccata de Maurice Ravel, ils ont ainsi fait connaissance. Et l'instant est devenu subitement plus intense.
Trois semaines plus tôt, c'est avec un Steinway B que la jeune Lydie Solomon avait subjugué l'auditoire du Steinway Showroom du boulevard Saint-Germain à Paris. La seule évocation de ce moment dit toute la relation fusionnelle et magique qu'elle sait nouer avec un piano.

« C'est un instrument absolument parfait. Il te suit, il t'emporte, il te sert, il t'intimide et il te propose. C'est une personne à part entière. Tu entres comme dans une relation d'amour. D'ailleurs, ce morceau de Ravel que je viens d'interpréter, je n'ai pas eu l'impression de le jouer l'autre jour. C'est le piano, ce fameux Steinway qui, ce soir-là, en a eu envie. Il m'a dit : « Viens, on y va ! » J'étais crevée, et il est parti, il a joué tout seul. J'ai eu l'impression d'être spectatrice…
… J'aimerais faire corps avec un piano. C'est mission impossible. À la différence du violon, par exemple, il est loin de toi. Ce n'est pas un archet qui caresse mais un marteau qui vient frapper une corde. C'est une mécanique complexe. Tu peux bien-sûr te donner l'illusion que tu fais corps avec lui, mais c'est un équilibre instable. Comme le funambule qui marche sur un fil. Tu es piano un instant et il suffit d'un rien, d'une infime variation, pour que tu en sortes. »

Le piano est entré dans la vie de Lydie Solomon quand elle avait deux ans. Trois ans avant de prendre ses premières leçons, elle jouait, heureux présage, l'Hymne à la Joie de Beethoven. Simplement à l'oreille. À l'âge de cinq ans, elle intègre l'École Normale de Musique de Paris et donne à dix ans son premier récital. Elle se souvient que ses condisciples l'avaient surnommée « l'extraterrestre ». Elle se souvient aussi que le « prodige » a fait oublier un peu vite l'enfant qu'elle était avant tout.
Tout au long de ses jeunes années, enchaînant les concerts et les tournées, elle s'est consumée pour son art. C'est à dix-huit ans qu'elle a dû quitter la voie pourtant royale qu'elle avait commencé à tracer. Sa mère, qui jusqu'alors la voyait devenir « la plus grande pianiste de l'univers, les Coréennes ne font pas les choses à moitié », voulait finalement autre chose pour elle et lui a imposé un autre cap. École de commerce, l'Essec, MBA. Amère partition pour la jeune artiste, doublée du constat sans surprise que les absents n'ont pas toujours raison. On ne l'avait pas tout à fait oubliée, on était juste passé à autre chose. Il lui a fallu ensuite prendre le temps de se rappeler au bon souvenir des uns et des autres.
Avec le recul, même si elle ne nie pas la profonde blessure que cette rupture lui a infligée, elle lui reconnaît le mérite de lui avoir permis de faire le point et de mieux distinguer la passion pure qui l'anime encore de la passion composée, sinon fabriquée, qui à terme aurait pu l'assécher. Le temps n'a d'ailleurs pas su éteindre ses feux. Il a juste affûté ses exigences. À la virtuosité, elle préfère aujourd'hui l'intériorité. Question d'intégrité et de sincérité.

« J'aime les pianistes, je n'aime pas le « pianisme » (sourire), j'aime la virtuosité pas le « virtuosisme ». Cette sorte d'obsession qui érige la virtuosité en dieu, en but en soi. Alors que la virtuosité doit rester un moyen. Il faut que la technique s'efface complètement pour entendre le chant. Chopin disait : « Pour bien savoir jouer du piano, il faut savoir chanter. »
Donc, oui, la virtuosité doit rester dans l'élégance, dans la grâce et savoir s'effacer. Mais c'est rare, très très rare. Parce que l'Homme est pétri d'ego et cède à la tentation d'en mettre plein la vue. Il se fait d'ailleurs avoir à son propre piège, souvent. Parce qu'à quoi bon ? Il fait des choses incroyables avec ses dix doigts et puis quoi ?? Ça ne le mène pas très loin (sourire).
Franz Liszt était et reste le seul, à mon avis, à être capable d'autant de virtuosité et en même temps avec une facilité qui faisait que, d'un coup, c'était le discours musical qui ressortait et les gens pleuraient. C'est ça pour moi la vraie virtuosité. C'est la technique qui est capable de s'effacer au profit d'un langage, au delà des mots, qui te saisit dans ton coeur. »

Récemment, Lydie Solomon a fait une rencontre de celles qui changent une vie ou lui redonnent son sens. Pianiste comme elle, passé lui aussi par l'École Normale de Musique de Paris, Michel Sogny, qui depuis 1974 a considérablement bougé les lignes de l'enseignement pianistique, lui a permis de retrouver sa voie et foi en son art.

« C'est la rencontre de ma vie ! J'aurais arrêté le piano sinon. Sa pédagogie est révolutionnaire, tellement plus adaptée aux pianistes d'aujourd'hui. Les mots ont une résonance chez moi, il les manie en virtuose. Il développe la vélocité des doigts autant que l'émotivité, la sensibilité… je n'avais jamais autant travaillé de ma vie ! (rires) Et à ses côtés, le temps a rebroussé chemin…
Les gens me disent : « Mais tu joues très bien ! » Lui me disait : « Je vous rassure, ils n'entendront pas la différence. » Mais dans cette démarche, avec lui, j'ai le sentiment de me rapprocher de plus en plus de cet infime écart, le plus dur à combler, qui me sépare encore un peu de l'aboutissement… Il ne faut pas chercher la perfection d'ailleurs, mais la grâce.
Et puis, de manière concomitante, j'ai rencontré Nayla Khalek. Elle est agent artistique. Elle a une énergie folle que j'ai moi-même parfois du mal à suivre et me remet en cause, tout en sachant m'apporter des idées neuves. C'est ma maman et mon papa en même temps… Moi qui ai longtemps cherché ma liberté, qui me suis sentie seule, je me sens aujourd'hui comprise, accompagnée. »

Lydie Solomon a écrit il y a cinq ans la plus belle page à ce jour de son histoire en donnant naissance à une petite fille. Elle dit que c'est ce qui lui a donné la force de renouer avec sa première vie. Elle ajoute dans un sourire charmant que la femme a aidé la pianiste.
On se surprend à penser que le destin, espiègle et baroque, a lui aussi, parfois, le talent du beau contrepoint.

Paris Bazaar (Olivier Daudé), 11/04/2019