Lydie Solomon Pianiste

Lydie Solomon voyage de Chopin à Ravel – Pianiste Magazine

10 juin 2015

« Le 13 juin, à 20h, à l'Angolô, à Montmartre, lieu intimiste s'il en est, Lydie Solomon propose le premier épisode d'un voyage nous emmenant du Boléro de Chopin au Boléro de Ravel. »

« « Le Voyage de Frédéric Chopin » nous conduira, en musique, de Varsovie à Paris en passant par Stuttgart, Dresde, Majorque et Nohant. Un siècle d'histoire musicale – de 1830 à 1930 – mais aussi d'hispanité au piano, thème de ce premier récital. Nous découvrirons ainsi l'influence espagnole si puissante chez les compositeurs français. Une influence qui ouvrit le répertoire et créa des liens inattendus avec l'Espagne baroque et romantique, mais aussi l'Amérique Latine.
Cette soirée a été imaginée dans l'esprit « Classic' Club » : on revit l'époque des salons romantiques et des premiers clubs de jazz. Dans cette atmosphère si particulière, Lydie Solomon présente les œuvres d'une manière interactive, jouant, chantant, mais aussi faisant participer le public.
Elle joue sur un piano Erard de 1921.
Ce concert est le premier épisode d'une série.
Le prochain aura lieu dans le cadre des Rencontres d'Aubrac (12), le 20 août. »

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« INTERVIEW DE LYDIE SOLOMON par Camille Arcache »

« Voyage au bout de la musique… »

« Quand vous êtes au piano, on vous voit parler, chanter… Le faites-vous sans vous en rendre compte ?

C'est Chopin qui disait que pour jouer du piano, il faut savoir chanter ! Il faut savoir parler, chanter, danser. Quand je suis au piano, je suis dans un autre monde. L'artiste est un médium qui rejoint le monde réel et le monde invisible. La musique est le moyen le plus haut pour amener à voir l'invisible.

Est-ce difficile de sortir de ce « monde » pour intervenir auprès du public et expliquer ce que vous allez jouer ?

Oui, au début je n'y arrivais pas et puis ça s'est débloqué. Les mots ont beaucoup d'importance car j'ai écrit des romans, des poèmes, des pièces de théâtres, qui sont restés dans les tiroirs, mais parler…
Je ne considérais pas que les mots soient assez « hauts » pour pouvoir passer d'un état à un autre. C'est pourtant important de guider le public. J'aurais pu déléguer ce rôle de présentation des étapes du voyage de Chopin. Mais j'ai osé prendre la parole, changer d'état, cela a donné un côté plus humain de l'artiste. C'est ce côté humain qui manque parfois à la musique classique. Chopin apprenait à danser les mazurkas à ses amis, chose que je dois vite apprendre ! L'artiste est un créateur, un révolutionnaire. Debussy était un cancre au conservatoire, Chopin un autodidacte, tous les grands artistes ne sont jamais rentrés dans un système. Sortir du système m'intéresse aussi pour donner et pouvoir montrer qui je suis, que ce soit par la musique, les mots, les gestes, mais que ce soit artistique.

Comment vous est venue l'idée du Classic'Club ?

Je voulais élargir le concept du répertoire et de la salle. J'adore cet aspect solennel des grandes salles de concert, où l'artiste, intouchable est isolé du public plongé dans l'obscurité. C'est comme sauter dans le vide ! Mais ça donne aussi un côté désincarné à la musique classique, comme si c'était une « musique de musée ». Ce que je veux, c'est faire vibrer les gens au son d'une musique vivante, comme si elle était créée au moment où on la joue. Le jazz club ou le salon parisien y sont parfaitement adaptés, on est prêt du public et on ressent physiquement les vibrations. Dans certaines salles, l'acoustique est magnifique, mais elle reste mathématique. Quand je suis arrivée à l'Angôlo, j'ai ressenti une véritable énergie.

Vous voulez rendre la musique vivante, et pourtant vous avez joué Chopin, un compositeur qui fait partie de cette « musique de musée »…

Oui, mais ce qui est extraordinaire avec la musique de Chopin, c'est sa capacité à être réinventée. Il avait l'habitude de jouer deux fois à la suite le même morceau, et il le rendait méconnaissable. Il ne changeait pas uniquement les notes, il avait une inépuisable richesse d'interprétation, due au fait que c'était un grand improvisateur. Mozart, Bach, Beethoven, tous l'étaient ! Beethoven improvisait peu pour canaliser son énergie pour ses compositions. Pour Chopin, c'était une torture de terminer un morceau ! Il n'était pas un compositeur suffisamment reconnu à son époque. Pour être célèbre, il fallait écrire des concertos, des symphonies. Il a réussi à tout exprimer par le piano. Pour moi, Chopin est celui qui a mieux su rendre la subtilité des sentiments humains.

Vous improvisez aussi pour ces concerts dans le cadre du voyage musical ?

Non, mais je ne joue pas mécaniquement non plus. Parfois quand je suis au piano, je ne sais pas ce que je vais jouer la note d'après. C'est cette surprise, cet émerveillement, qui me permettent d'avoir l'impression d'être connectée à l'âme de Chopin. Je me dis que si j'ai un doigt qui part, c'est l'occasion d'aller ailleurs… même si j'ai l'angoisse de la fausse note comme tous les pianistes. J'aime cette musique qui se renouvelle, qui se crée dans l'instant, qui est unique. Il faudra donc revenir samedi prochain. Je jouerai Chopin différemment !

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Où ou avec qui avez vous appris à envisager la musique de cette façon ?

C'est en suivant l'exemple de Marie Jaëll, une pianiste que j'adore. Jouer de la musique c‘est danser : il faut trouver l'harmonie entre le geste et le son. Elle prêtait beaucoup d'attention à la beauté du geste, chose à laquelle je ne faisais pas assez attention. Avant, je me préparais à jouer mécaniquement, je devais d'abord assurer, et le ressenti passait après. Maintenant, avant un concert, j'essaie d'accueillir tout ce qu'il y a autour de moi, autrement, je ne peux pas faire passer de véritables émotions au public.

À part Marie Jaëll, y a-t-il des pianistes qui vous ont inspiré particulièrement ?

Je pense d'abord à Alfred Cortot. Il avait un jeu incroyablement poétique. On a l'impression qu'il sentait l'âme de Chopin et qu'il créait la musique au moment où il la jouait, même s'il pouvait y avoir quelques fausses notes. Aux antipodes de Cortot, il y a Glenn Gould. Lui était millimétré. D'un point de vue musical, je suis aussi obsessionnelle : je peux passer une journée, une semaine sur une seule mesure, et je sais que quand j'aurai débloqué cette mesure, j'aurai compris tout le reste. C'est une clé, à la frontière de la technique et de l'expression. Tout est lié.

Revenons au Classic' Club. Comment avez-vous choisi Chopin ?

C'est une drôle d'histoire. A la sortie du conservatoire, je suis allée au contact de la musique cubaine, paraguayenne, argentine, et j'ai produit un album de musiques hispaniques. C'est là que j'ai perçu une influence de Chopin, tout particulièrement dans la musique cubaine ! J'ai mené mon enquête, et il s'avère que Fontana avait joué la musique de son ami d'enfance (Chopin !) lors d'un voyage à Cuba en 1841. Cela s'est transmis. En remontant à la source, je suis revenue à Chopin.

Et cette idée du voyage ?

Aux Abu Dhabi Classics l'année dernière dont je faisais le concert d'ouverture, il fallait élaborer un programme sur le thème du voyage. J'ai choisi Chopin parce qu'il a beaucoup voyagé, physiquement et musicalement. De son premier Nocturne à sa dernière Mazurka il a fait un voyage intérieur. D'ailleurs, c'est en voyageant que j'ai été amenée à jouer de nouveau !
Avec cette série musicale que je donne à l'Angôlo, de Chopin à Ravel, c'est une véritable aventure musicale que j'entreprends. Je veux raconter une histoire, donner du sens à ce que je joue, pour le public et pour moi. Ce qu'on joue impacte directement l'âme, l'oreille de ce qui va venir ensuite. Il est donc essentiel de donner du sens. »

Pianiste Magazine (Camille Arcache), 10/06/2015