17 novembre 2017
“Radiographie d’un style: Lydie, 36 ans, pianiste”
“Une passante parisienne repérée pour son style nous ouvre ses portes et nous explique comment elle vit son rapport au vêtement. Aujourd’hui Lydie Solomon, pianiste, nous parle de sa sensibilité à l’élégance mais de sa difficulté à faire du shopping.”
“Elle écrivait des notes de musique, assise devant moi dans le métro. Sa tenue était à la fois simple et bien pensée: une robe en coton jaune safran à encolure bateau, un sac à main bleu Klein, des collants et des escarpins en daim noirs. Elle a accepté sur le champ de m’ouvrir les portes de chez elle pour discuter de son style. Quelques jours plus tard, elle m’a accueillie dans l’appartement, niché près de la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris, qu’elle occupe avec son mari et leur fille de 3 ans et demi, Ernestine. Nous avons fait connaissance dans son salon, à côté d’un piano à queue qui occupait la moitié de la pièce.
Lydie Solomon se fiche pas mal de la mode. Ses passions, ce sont le piano et Beethoven. À 2 ans, elle joue L’Hymne à la joie à l’oreille. Il n’en faut pas plus pour convaincre sa maman qu’elle deviendra un génie de la musique. Aujourd’hui, à 36 ans, l’ex-enfant prodige couverte de prix vit de ses concerts, qui l’amènent à voyager régulièrement en Corée, d’où sa mère est originaire. Son approche du vêtement est si intellectuelle qu’elle en devient immatérielle: plutôt que de perdre son temps à chercher la robe ou les chaussures dont elle a besoin, elle préfère se réfugier dans l’idée qu’elle s’en fait. Une frugalité qui ne l’empêche pas de posséder quelques spectaculaires robes de scène: en concert, son goût pour l’extraordinaire s’épanouit.
J’aime être bien habillée et voir des personnes élégantes, mais le sujet n’est pas du tout ma priorité.
Un souvenir d’enfance lié aux vêtements?
Quand j’étais petite, une copine avait une doudoune noire. J’ai demandé à ma mère si je pouvais avoir la même. Elle a accepté, mais elle m’a imposé la version dorée, car elle voulait toujours m’acheter ce qui lui semblait les plus beaux vêtements. Je l’ai portée pendant des années sans comprendre ce que cette doudoune, dans laquelle je ressemblais à Armstrong, faisait sur moi. Alors que selon moi le vêtement doit révéler la personne, ceux que ma mère me choisissait avaient tellement de froufrous que je ne me voyais plus derrière.
Aimez-vous acheter des vêtements? Faire les magasins?
En fait, je n’achète pas de vêtements. Je pourrais vous faire la liste de tout ce dont j’ai besoin, mais je n’ai pas le temps de faire les magasins, car cela signifierait sacrifier mon piano -je le pratique cinq heures par jour, auxquelles s’ajoutent les concerts et leur préparation.
Ce n’est toutefois pas qu’une question de temps. Il y aussi le fait que je ne suis jamais satisfaite de ce que je vois en magasin. A mes yeux, le vêtement doit montrer qui l’on est, or moi, je ne sais pas encore qui je suis. Je me sens à la fois sophistiquée, asiatique, fatale, lovely -un terme coréen qui désigne l’attitude d’une femme fraîche, innocente, pure, le contraire de la femme fatale. Mon père est franco-roumain, ma mère coréenne. Entre le “juif roumain” et la “Coréenne bouddhiste”, je suis le cocktail Molotov!
Comment faites-vous pour vous habiller, si vous ne vous achetez pas de vêtements?
Très souvent, les gens m’offrent des habits. Comme j’ai peur que mes choix me figent dans un caractère qui n’est pas le mien, je préfère m’en remettre aux autres. Ma productrice coréenne, qui me connaît bien, m’a ainsi offert une panoplie de vêtements pour des concerts. Un jour, pour un festival littéraire, le créateur Olivier Guillemin a proposé de me dessiner une robe. Elle est dorée, unique, infroissable: je la trouve merveilleuse. M’en remettre à ce que mes collaborateurs voient de moi m’arrange bien. Mon mari m’offre aussi des choses.
Je fonctionne de la même façon avec ma fille: elle porte les vêtements de sa cousine, qui a cinq ans de plus. On n’a pas de temps à perdre avec du shopping!
Il vous arrive tout de même bien d’entrer dans un magasin…
J’aime bien La Petite Fripe, rue Oberkampf. Ils ont une sélection intéressante. Et récemment, ma productrice m’a emmenée chez Maje et chez Jimmy Choo. J’avais bien entendu ce nom dans Sex & the City, mais à l’époque je croyais qu’elle parlait d’un ami taïwanais! J’ai eu le coup de foudre pour cette marque. Une paire d’escarpins bleus à paillettes, aux proportions parfaites, m’a particulièrement touchée. Je n’irai pas tous les jours là-bas pour autant, mais j’ai l’impression que ces créations, comme l’art que je fais, sont l’expression d’un même désir de beauté et d’éternité.
Le reste du temps, oui, j’entre parfois dans des magasins -mon mari me traîne pour y aller-, mais quand j’y suis, je ne sais pas par où commencer. Et quand je trouve quelque chose, je finis toujours par y voir un défaut. Ou bien je me convainc que je n’en ai pas besoin. Neuf fois sur dix, je ressors sans avoir rien acheté. En boutique, je suis un poème. Comme je ne trouve pas le vêtement qui me sublimerait, je préfère attendre.
Cela vient de loin. Enfant, quand nous allions faire du shopping, ma mère voulait m’acheter la boutique entière. Je me battais pour qu’elle ne m’achète rien. Ne pas avoir trop est important pour moi. Nous habitons un petit espace, chaque vêtement y prend une place. J’aime l’idée que chaque achat soit réfléchi, que je ne le regrette pas.
Evidemment, l’ironie de l’histoire, c’est que j’ai parfois des regrets de ne pas avoir acheté certaines choses. Un jour, alors que je donnais un concert dans une petite ville de Pologne, j’ai vu dans une vitrine des escarpins très hauts rouge vif. Ils étaient élégants, sexy, pas chers, parfaits! Je me suis dit que je reviendrai le lendemain. Je ne l’ai pas fait. C’était il y a trois ans. J’y pense encore, mais avec le temps, le regret s’est transformé en souvenir. C’est comme si elles étaient là. L’idée me suffit.
Vous donnez beaucoup de concerts. Comment choisissez-vous vos tenues de scène?
Comme ma mère était ma productrice à mes débuts, j’ai encore quelques robes de princesse qu’elle m’avait choisies à l’époque. Après les avoir longtemps rejetées, aujourd’hui je les porte de nouveau et je les trouve magnifiques. En revanche, depuis que j’ai repris les concerts en 2012 (je me suis interrompue un temps pour me consacrer au cinéma), mon approche est beaucoup plus libre. Je porte souvent des robes rouges, une couleur chaleureuse qui prend bien la lumière sur scène, qui plaît en Corée et qui m’évoque l’univers latino, que j’affectionne.
Quel style de vêtements portez-vous au quotidien?
Dans mon armoire, j’ai trois niveaux: les vêtements de scène, les tenues de sorties pour les rendez-vous importants et les vêtements de tous les jours. Quand je travaille chez moi ou que je vais chercher ma fille à l’école, j’adore être en slim, pull confortable, baskets ou bottes.
Quel est votre vêtement préféré?
La robe Givenchy que l’on m’a offerte pour mes 30 ans. [Elle sort une housse de l’armoire, en extrait une robe de cocktail en faille de soie à imprimé foulard jaune et violet, doublée d’un volumineux jupon d’organza noir] C’est une robe d’Alice au pays des merveilles. On ne voit qu’elle, elle est très sophistiquée, et en même temps elle correspond à ma personnalité un peu fofolle.
Êtes-vous conservatrice ou avez-vous tendance à jeter?
Je garde mes vêtements très longtemps. J’ai tendance à me lasser assez vite d’eux, mais je résiste à la tentation de m’en débarrasser pour pouvoir y revenir. Beaucoup de vêtements dans mon armoire attendent d’être redécouverts.
J’ai fait deux grands nettoyages dans ma vie, et j’ai à chaque fois regretté. En 2007, en particulier, je voulais me défaire de plein de choses de mon passé. J’ai jeté un magnifique costume coréen et probablement une robe de concert, très belle, que je n’ai jamais retrouvée. J’étais folle!
Comment adaptez-vous vos goûts à votre morphologie?
Je cherche des vêtements cintrés, qui soulignent mes formes car je suis plutôt mince -je fais une taille 34. Je préfère les manteaux courts, plus flatteur sur mon 1,62m.
Avez-vous des complexes liés à votre corps?
J’ai sur moi un double regard. De l’extérieur, je vois bien que je ne suis pas trop moche. De l’intérieur, je me critique beaucoup. Mais cela dépend des moments: quand je me sens en harmonie avec moi-même, je me sens belle, quand je me sens en décalage, je me trouve moche.
Parlez-vous de mode avec votre mari?
Pas du tout. Il n’achète pas grand-chose et je ne lui achète rien! Il reçoit des vêtements de son père et il prend tellement soin de ses rares achats qu’ils ne s’abîment pas. On est des artistes: notre sujet de conversation, jour et nuit, c’est Beethoven.”